Quand l’Europe prétend assurer la sécurité des consommateurs, c’est aussi (et surtout ?) pour assurer les profits des semenciers et leur monopole. En effet, grâce à la création du catalogue officiel des variétés, les grands groupes industriels du secteur (Monsanto-Bayer, Dupont-Dow, Syngenta…) avaient réussi depuis la seconde guerre mondiale, à contrôler le marché mondial des semences agricoles. Ainsi, les agriculteurs ne pouvaient utiliser jusqu’à présent que des semences “officielles” enregistrées dans le catalogue des variétés ….qui sont essentiellement vendues par ces grands groupes.
Non contents de déposer des brevets sur le vivant ou de fabriquer du bouillon de sorcière avec les OGM mariés à des pesticides, les industriels avaient verrouillé l’accès aux semences grâce à une réglementation obtenue avec la complicité des États, et par l’action de leurs lobbies.
En France, un décret publié en 1981 au Journal Officiel prohibait la commercialisation de graines non inscrites au catalogue officiel des semences autorisées !
Il faut savoir qu’un des vices de ce système de catalogue réside dans le prix. Pour inscrire une semence au catalogue et lui donner l’autorisation de commercialisation, les producteurs doivent débourser des milliers d’euros. Il faut compter entre 6000 et 15.000 euros (somme qu’on ne trouve pas sous le matelas du premier paysan venu). C’est pour cette raison que les géants cités plus haut détiennent la majorité des espèces répertoriées dans le catalogue officiel.
Mais, à partir de janvier 2021, les semences dites "paysannes" pourront être commercialisées. En effet le parlement européen à adopté le 19 avril un nouveau règlement sur l’agriculture biologique. Désormais, les semences bio ne passeront plus par le catalogue des semenciers et relèveront directement de la responsabilité des producteurs.
C’est un retour à la normale, car les semences paysannes sont issues des semences utilisées avant l’industrialisation de l’agriculture. Et depuis bien longtemps, les agriculteurs les prélèvent dans leurs récoltes afin de les replanter. En 2021, les agriculteurs Bio pourront les vendre. Il s’agit d’un retour à une pratique naturelle qui leur permettra de retrouver une liberté ancestrale qui avait été interdite. Puis, en bonne logique, ce devrait être le tour des agriculteurs conventionnels.
La lutte des agriculteurs bio, des associations et des démocrates, a porté ses fruits.
Il était temps !
En effet, selon la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations - Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l’agriculture), 75 % des aliments de la planète proviennent de douze espèces végétales et cinq animales, seulement. Ce qui donne un pouvoir exorbitant aux industriels sur l’alimentation de l’humanité et présente un énorme risque en cas de problème sanitaire touchant ces espèces.
En un siècle, toujours selon la FAO, 75% des espèces comestibles ont disparu faute d’être cultivées. Dix variétés modernes de blé tendre représentent par exemple près de 50% des surfaces semées de cette céréale en France. Il est donc probable que des saveurs et des parfums oubliés réapparaîtront dans le commerce et dans les cuisines.
Malgré cela, la diversité reste incomparable, tant pour les fruits, les légumes que pour les céréales, les légumineuses, les plantes aromatiques, etc. Le faible nombre de variétés autorisées a entraîné une grande uniformisation des cultures et des goûts. Une étude réalisée en 2015 sur les tomates a montré que les teneurs en certains nutriments sont jusqu’à vingt fois plus élevées dans les variétés anciennes. Ces semences sont également plus riches sur le plan nutritionnel. Globalement, les variétés de tomates autorisées contiennent cinq à douze fois moins de nutriments que les paysannes. La tomate n’est pas un cas isolé : le même constat a été fait pour les concombres, les poivrons, les aubergines.
Grâce à ce nouveau règlement de Bruxelles, qui entrera en application le 1er janvier 2021, l’agriculture biologique pourra réintroduire des variétés anciennes sur le marché. C’est la fin de "la mainmise des grands groupes semenciers", estime l’eurodéputé José Bové. "Elle va permettre la commercialisation de semences traditionnelles et encourager les paysans bios à réutiliser leurs propres semences".
Mais le monopole des industriels de la malbouffe ne sera pas pour autant affaibli. En effet, “les multinationales pourront déposer des mélanges brevetés moins homogènes comme des nouveaux OGM sans supporter les contraintes de l'inscription au cahier officiel. Et peut-être échapper à la réglementation OGM” s’inquiète le président du Réseau semences paysannes.
Reste que cette autorisation ne concerne pour l’instant que l'agriculture bio. Un rôle pionnier qui pourrait ouvrir la voie aux agriculteurs conventionnels.
> Sources. Le Figaro. L’UE autorise les agriculteurs bio à vendre leurs propres semences >>> Lien.
Réseau Semences paysannes. Parlement européen, séance du 19 avril 2018. >>> Lien.
Bonne terre et compagnie. >>> Lien.