Pour la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2022, qui est aussi l’année du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, je consacre cette page à Djamila Boupacha et Gisèle Halimi. Les commentaires lyriques, sensationnels ou l’affichage des beaux sentiments ne sont pas nécessaires, il suffit de rappeler les faits sobrement comme le fait Wikipedia.
Commençons par Djamila Boupacha qui est née le 9 février 1938 en Algérie à Saint-Eugène (actuellement Bologhine). Elle s’engage très jeune, à 15 ans, pour l’indépendance de l’Algérie dans l'Union démocratique du manifeste algérien de Ferhat Abbas, puis le FLN en 1955.
Pendant la clandestinité, elle porte le nom de guerre de Khelida. Arrêtée le 10 février 1960 en compagnie de son père, de son frère, sa sœur et de son beau-frère, elle est accusée d'avoir déposé une bombe (désamorcée par les démineurs de l’armée Française) dans une brasserie d’Alger le 27 septembre 1959.
Emprisonnée secrètement pendant un mois (officiellement, elle n’est incarcérée nulle part), violée, elle subit durant plus d'un mois de nombreux sévices, infligés par des membres de l'armée française :
“On lui fixa des électrodes au bout des seins avec du Scotch, puis on les appliqua aux jambes, à l'aine, au sexe, sur le visage. Des coups de poing et des brûlures de cigarettes alternaient avec la torture électrique. Ensuite on suspendit Djamila par un bâton au-dessus d'une baignoire et on l'immergea à plusieurs reprises.”
Alertée, l’avocate Gisèle Halimi décide de prendre son cas en charge en mars 1960. Leur première rencontre se tient à la prison Barberousse le 17 mai 1960. Relatant les tortures auxquelles elle a été soumise, Djamila Boupacha finit par décrire comment les militaires l'ont violée. “On m'administra le supplice de la bouteille ; c'est la plus atroce des souffrances ; après m'avoir attachée dans une position spéciale, on m'enfonça dans le ventre le goulot d'une bouteille. Je hurlai et perdis connaissance pendant, je crois, deux jours.” Un témoin l'a vue à Hussein-Dey évanouie, sanglante, trainée par ses geôliers (Djamila était vierge). D'après Gisèle Halimi, “elle n'avait pas commis d'attentat mais était sur le point d'en commettre un”.
Gisèle Halimi, née le 27 juillet 1927 à La Goulette en Tunisie est une avocate, militante féministe et femme politique franco-tunisienne. À partir des années 50, elle défend des militants algériens de l'indépendance dont des membres du Front de libération nationale (FLN).
Alors que la presse de l’époque est soumise à la censure, elle médiatise le procès de Djamila Boupacha, soutenue par les partisans de la Paix en Algérie et des personnalités comme Simone de Beauvoir, pour dénoncer les méthodes de l'armée française pendant cette guerre coloniale. Gisèle Halimi axe sa défense sur l'invalidité des aveux obtenus sous la torture et, avec l'accord de Djamila Boupacha, dénonce son viol et porte plainte contre X. Pour la première fois pour un procès de ce type, des médecins gynécologues sont convoqués comme experts.
Un avocat participant à la défense, Pierre Garrigues, est assassiné à Alger le 1er mars 1962. Devant les entraves juridiques rencontrées, Gisèle Halimi porte plainte contre le général Ailleret, commandant des forces armées en Algérie, et Pierre Messmer, ministre des Armées, pour violation des droits constitutionnels de sa cliente. Les deux hauts responsables sont inculpés pour forfaiture, ce qui médiatise encore plus l’affaire. Elle obtient le dépaysement du procès à Caen, et forme un comité de défense avec des membres aussi prestigieux que Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Gabriel Marcel et Aimé Césaire.
Les informations sur le procès sont données dans le journal Le Monde par Simone de Beauvoir qui co-écrit ensuite avec Gisèle Halimi un livre sur Djamila Boupacha. Le portrait de Djamila Boupacha par Pablo Picasso est publié à la une de l’hebdomadaire Les Lettres françaises le 8 février 1962 et fait la couverture du livre. Condamnée à mort en France le 28 juin 1961, Djamila Boupacha est amnistiée à la suite des accords d’Évian et libérée le 21 avril 1962.
En 1971, Gisèle Halimi est la seule avocate signataire du “manifeste des 343” réunissant des femmes qui déclarent avoir déjà avorté et réclament le libre accès à l'avortement alors illégal et réprimé en France. Dans la foulée, elle fonde le mouvement “Choisir la cause des femmes”, aux côtés de Simone de Beauvoir et Jean Rostand. En 1972, lors du procès de Bobigny, son action en tant qu'avocate de femmes accusées d'avortement illégal permet l'acquittement de trois des accusées, et contribue à l'évolution vers la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse, en 1975.
En 1978, sa stratégie de défense médiatisée de deux jeunes femmes victimes d'un viol collectif, contribue à l'adoption d'une nouvelle loi en 1980, définissant clairement l'attentat à la pudeur et le viol, permettant de reconnaître ce dernier comme un crime, alors qu'il était traité le plus souvent comme un délit en droit français.
Elle fonde en 1971 le mouvement féministe Choisir la cause des femmes et milite en faveur de la dépénalisation de l'avortement. Élue à l'Assemblée nationale en 1981, elle agit pour les droits des femmes. Après 1985 elle occupe plusieurs fonctions pour la France à l'Unesco et à l'Onu. Elle est en l'une des fondatrices de l'association altermondialiste ATTAC en 1998.
Figure du féminisme en France, Gisèle Halimi meurt le 28 juillet 2020 à Paris.
Depuis 1962 Djamila Boupacha tenait à vivre comme simple citoyenne à l’écart de la vie publique, entourée de sa famille et de ses proches.
Mais le 15 février 2022, suite à l'annonce officielle de la liste du tiers présidentiel, où elle figure parmi les personnalités choisies par le président algérien pour le poste de sénateur, elle refuse le privilège (et le revenu de plus de 200 000 dinars - environ 1300 euros) offert par le régime et déclare : “Je tiens à préciser que j'ai exprimé ma volonté et mon avis sur la question et j'ai décliné cette proposition qui m'a été faite par les instances officielles en les remerciant de la confiance qu'ils ont placée en moi”, et elle ajoute : “J'ai servi mon pays auprès de mes frères et sœurs en tant que moudjahida et j'ai repris ma vie de citoyenne depuis et je tiens à le rester”.
La vie de ces deux femmes exemplaires méritait bien ces quelques lignes, pour célébrer la Journée internationale des droits des femmes de 2022, la justice, la liberté et la paix.