Milagro Sala, dirigeante de l’organisation Túpac Amaru (du nom du descendant du dernier Inca qui a bravé le colonisateur espagnol au XVIIIe siècle) dans la province de Jujuy en Argentine, est la première prisonnière politique du Gouvernement de Mauricio Macri. Cette femme de la rue, indienne à la forte personnalité, dotée d’une énergie à remuer les montagnes, mélange dérangeant de l’abbé Pierre et de Che Guevarra, députée du Parlasur (le Parlement du Mercosur), est en prison. Détenue depuis janvier 2016 pour avoir organisé une manifestation déclarée illégale par les autorités, elle est enfermée sans preuve et malgré son immunité parlementaire…
Alicia Dujovne Ortiz, talentueuse journaliste et romancière argentine (qui vit désormais dans le Cher, en Pays Fort), est allée enquêter sur place au printemps 2017 pour les éditions “Des femmes”. Elle a rencontré Milagro Sala dans sa prison ainsi que son mari, ses camarades de luttes, ses voisins, ses ennemis aussi. Ce récit, écrit d’une plume alerte, nous fait découvrir une femme hors du commun, d’une générosité exceptionnelle, incarnant l’esprit Inca, celui de la communauté paysanne qui ne baisse pas l’échine, celui de l’institution du “verre de lait” : où celui qui reçoit quelque chose de la communauté se doit de lui faire un don en retour...
En lisant cette enquête, on se convaincra (si c’était nécessaire) qu’en Amérique Latine, les contradictions sont exacerbées, les écarts de richesse sont énormes, et certains politiciens ne reculent devant rien ! L’affaire Milagro Sala est l’une des nombreuses formes de violence que le gouvernement argentin et sa Justice utilisent contre ceux qui pensent différemment, surtout s’ils militent dans des mouvements sociaux ou politiques qui n’obéissent pas au gouvernement.
Des partisans de Milagro Sala campent Place de mai à Buenos Aires, devant le palais présidentiel, pour que Mauricio Macri le chef de l’État, intervienne en sa faveur. Mais Mauricio Macri invoque l’indépendance de la Justice. Pourtant la Justice peut être aussi influençable… Les mêmes juges qui se sont empressés d’inculper et de mettre en détention Milagro Sala, étaient en place quand, au vu et au su de tous, elle construisait des logements avec ses coopératives grâce aux fonds publics. Mais à l’époque elle était la protégée du gouverneur allié à la présidente Cristina Kirchner. La justice ne voyait alors rien à redire…
Il a fallu que la Province de Jujuy élise un nouveau gouverneur, proche de Macri et ennemi juré de Milagro Sala, pour que des juges agissent. Les charges rassemblées contre elle sont fondées sur des preuves douteuses disent-ses partisans. Et des observateurs ont alerté sur la partialité du juge Ustarez Carrillo, directement nommé par le gouverneur de la Province.
Pour les argentins solidaires de Milagro Sala, il ne fait pas de doute que l’accusée fait les frais d’une volonté du nouveau pouvoir de prouver les fautes de l’ère Kirchner.
La criminalisation et la persécution de Milagro Sala est aussi une attaque contre l’organisation Tupac Amaru, qui a mis en place avec succès un programme d’aides aux plus démunis grâce à des coopératives de construction. Dans le contexte de la crise économique de 2001, Tupac Amaru a réussi à organiser une campagne de distribution de nourriture et de petits déjeuners, en commençant par le “verre de lait”.
Puis Tupac Amaru a obtenu des subventions destinées à la création de coopératives pour la fabrication de matériel de construction. Ainsi, Tupac Amaru a répondu à un besoin social en parvenant à construire huit mille logements dans une région défavorisée historiquement et marquée par la misère. Un chiffre supérieur à ce qu’a effectué le gouvernement de Jujuy et qui aura coûté moins cher. Et les coopératives ont construit d’autres équipements grâce aux excédents, comme des centres de santé, des écoles primaires et même des piscines !
Les mouvements sociaux argentins, le Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire de l’ONU, Amnesty International, et d’autres, réclament la libération de Milagro Sala, puisque son maintien en prison n’a pour but que de défaire le mouvement Tupac Amaru et s’approprier ses réalisations. D’ailleurs dix autres membres emprisonnés sont toujours en attente de procès. Milagro Sala subit donc un emprisonnement politique.
Début novembre après qu'on lui ait refusé le prolongement de l'assignation à résidence, Milagro Sala, a été transférée du pénitencier à l'hôpital Los Lapachos pour des examens médicaux. Elle vient d’être a nouveau emprisonnée à Alto Comedero (province de Jujuy) où elle est enfermée depuis presque deux ans dans de très mauvaises conditions ; ses proches craignent pour sa vie.
Il faut espérer que la pression, nationale et internationale, permettra à Milagro Sala d’aller à son procès en liberté, et que ce sera un procès équitable.
> Alicia Dujovne Ortiz est née à Buenos Aires en 1940. Elle vit en France depuis 1978, année où elle a fui la dictature argentine. Journaliste, critique littéraire et critique d’art, romancière, poète, écrivaine, biographe, elle est l’auteure de nombreux romans. Elle a également écrit plusieurs biographies remarquées. Ses livres ont été traduits en plus de vingt langues. Elle a reçu en 2013, le Prix Konex de Platino (Argentine) pour l’ensemble de son œuvre.
> Photos. Troisième à partir du haut : Milagro Sala à Rome avec le pape Jean. Photo du bas : avec la présidente Cristina Kirchner.
> Milagro Sala : L'étincelle d'un peuple, par Alicia Dujovne-Ortiz. Éditions Des Femmes-Antoinette Fouque. Un livre broché de 268 pages, avec un cahier de photos en couleurs. Format 21x13 centimètres. Prix 12 euros. À la librairie La Poterne 41 rue Moyenne Bourges, Fnac, Cultura, etc.
> Pétition du Comité pour la Liberté de Milagro Sala sur change-org. >>> Lien.
> Actualité de l’affaire Milagro Sala sur le web : site Pressenza. >>> Lien.