François Ruffin (ne pas confondre avec Jean-François) est journaliste. Jeune et talentueux, il a déjà des références (bonnes), puisqu'il travaille pour Le Monde Diplomatique, France Inter, le journal et les éditions Fakir. Son petit bouquin de cent vingt huit pages "Faut-il faire sauter Bruxelles ?", est court, incisif et il va à l'essentiel. Son enquête, qui prend la forme d’une visite touristique des hauts lieux du "quartier européen" de Bruxelles, c’est du journalisme d’investigation. En bon journaliste, François Ruffin va puiser aux sources, il éclaire le lecteur en lui montrant des choses qui ont du sens, il pose des questions sans détours (et parfois embarrassantes) à ses interlocuteurs, il extrait de la montagne de documents européens des textes significatifs. Et ça décoiffe....
L'air candide, François Ruffin emmène le lecteur dans un itinéraire choisi : le Parlement européen (où "l’influence des lobbies est gravée dans le marbre"), la Commission (quand la finance réforme la finance), le bâtiment Jacques Delors (le partenaire des firmes), la Confédération européenne des syndicats (la faiblesse tranquille), la Direction Générale environnement (pollution, béton, camion) ...etc.
Certes, on croit tout savoir de ce qui se fait en France à l'Élysée et au gouvernement, mais on ne sait rien ou presque de ce "machin" européen qui ne s'exprime qu'en jargon technocratique. Pourtant l'Europe surveille les budgets des États, fait des lois qui s'imposent à nous sans le moindre débat, elle encourage la "compétitivité", elle décide la "modération salariale", elle donne des directives de libéralisme économique et de régression sociale aux États membres. Et lorsque Ruffin rappelle comment l'Europe s'est constituée et avec quel personnel (les dirigeants des multinationales et de la finance), on comprend qu'il n'y a rien à attendre de cette Europe là. Et surtout pas une Europe sociale (ils en parlent parfois pour une déclaration consolante, mais ils font le contraire). Il cite la critique de la CEE par Pierre Mendès France, une critique étonnamment actuelle : "tout relèvement de salaire ou octroi de nouveaux avantages sociaux n’est-il pas dès lors, et pour longtemps, exclu pour les ouvriers français ?".
Par des exemples concrets et des textes éclairants, par les déclarations (parfois hypocrites) des interlocuteurs de Ruffin, on constate que L'Europe c'est la concentration des pouvoirs dans les mains de dirigeants non élus et de technocrates irresponsables. C'est le poids des lobbys, plus important que les peuples, dont la voix, exprimée lors des référendums, est à chaque fois ignorée.
Qu'on ne s'y trompe pas : les diktats de la Commission Européenne s'imposent à des politiciens consentants. Ils correspondent aux intérêts des sociétés et des banques nationales, "on pourrait très bien avoir la même domination de la finance, les mêmes politiques libérales et autoritaires sans l'Europe et sans l'euro" écrit François Ruffin. Oui, mais là, ça se verrait ! Cette autorité supra-nationale qui agit en s'entourant d'un écran de fumée pour mieux tromper les citoyens, c'est peut-être une des principales raisons d'être de l'Europe....
Exemples à l'appui, François Ruffin démontre dans son livre qu’il n’y a plus rien à espérer de l’Europe tant les institutions actuelles sont pénétrées par les lobbies et la finance. Elles sont "vérolées jusqu’au trognon", écrit-il ! Un message radical qui semble largement partagé par de nombreux Français (une majorité, disent certains).
Pour reprendre le titre accrocheur (et volontairement provocateur) du livre, les citoyens devraient "faire sauter" ces institutions qui sont des dénis de démocratie et qui ont été mises en place justement pour les tenir à l’écart du débat et des décisions. Comme c’est à nouveau le cas actuellement avec le projet de Grand marché transatlantique qui se négocie en secret entre des politicies et technocrates européens et leurs homologues états-uniens. ...Et si l'Europe avait été créée aussi pour ça ?
Est-il encore nécessaire de dire que je vous recommande de lire ce bouquin, de l'offrir et de le faire circuler autour de vous ?
> "Faut-il faire sauter Bruxelles ?" François Ruffin, Fakir éditions. Cent vingt huit pages. Format poche, 19 centimètres X 11, 5 centimètres. Prix 7 euros. En vente dans les bonnes librairies, et par correspondance à la Fnac et Amazon.
Un numéro spécial du mensuel Fakir sur le même sujet est sorti fin avril.