Journaliste à la Nouvelle République, Bruno Mascle s’est livré, durant un an, à une enquête approfondie, pour écrire l'histoire d'Abel Garçault, jeune berrichon fusillé pour l'exemple le 27 décembre 1914 à l'âge de vingt ans. Ce jeune gars était un porcelainier de Villedieu, il est devenu un soldat sans sépulture. L'enquête de Bruno Mascle révèle un pan dramatique et largement ignoré (on devrait dire dissimulé) de notre histoire, quand l'armée sacrifiait ses soldats pour qu’ils acceptent les ordres et le martyre de la guerre des tranchées.
Interviewé le 23 octobre dernier à propos de son livre, Bruno Mascle déclarait notamment : "L'idée remonte à 2013. A l'époque, je m'intéressais beaucoup aux grandes mutineries de 1917 pour un article à paraître dans la Nouvelle République. Je me disais que parmi tous ces mutins, certains devaient bien être natifs de l'Indre. J'ai alors fait la rencontre d'un historien local de premier plan, Jérôme Charraud, installé à Vierzon, qui m'a parlé des trois fusillés pour l'exemple de l'Indre. Devant les nombreuses réactions suscitées par le papier, j'ai décidé de creuser cette histoire.
En travaillant sur cet ouvrage j'ai pensé à Mis et Thiennot. Abel Garçault a été condamné injustement, certes, mais réhabilité grâce à un homme extraordinaire, le père Laffitte qui était présent lorsque le jeune soldat a été passé par les armes. Convaincu de son innocence, il n'a eu de cesse de lutter pour sa réhabilitation. Il l'obtiendra en 1925".
Au moment où l'on célèbre l'armistice du 11 novembre de cette guerre un peu oubliée, et que des défilés clairsemés se rendent aux les monuments aux morts de nos villages et de nos villes, ce livre tombe à point. Il éclaire notre histoire.
Et ce n'est pas une mince histoire. Dix millions de soldats français ont participé à l'aventure meurtrière de la première guerre mondiale pendant quatre longues années. Un million et demi furent tués, cinq cent mille portés disparus, deux millions reçurent des blessures horribles : des "gueules cassées" aux amputés en passant par les gazés, on imagine mal les souffrances de ces hommes. La réalité de la guerre de 14/18 ne fut pas aussi simple qu'on veut bien le dire un siècle plus tard : fautes d'un état-major souvent incompétent et rigide (à l'exemple des généraux Nivelle et Gamelin), ordres absurdes, mutineries, refus d'aller au combat, fraternisations avec les soldats d'en face, automutilations, "jugements" expédiés à la hâte. Près de deux mille cinq cents condamnations à mort "pour l'exemple" furent prononcées contre des soldats français. Parmi eux, Abel Garçault, condamné pour une automutilation jamais prouvée.
Avec cette guerre, ouvriers, paysans, bourgeois, artistes et intellectuels, toutes les catégories sociales ont eu leur lot de victimes. Deux mille intellectuels et artistes français perdirent la vie au cours de cette guerre : Charles Péguy, Alain Fournier, Ernest Psichari, Guillaume Apollinaire, Louis Pergaud, Albéric Magnard et tant d'autres. Des écrivains, comme Henri Barbusse ("Le feu"), Maurice Genevoix ("La boue", Nuits de guerre"), ont témoigné de l'horreur et de l'absurdité des combats.
Cette première guerre mondiale s’est jouée aussi sur d’autres fronts, elle a impliqué de nombreuses nations. Sait-on que deux tiers des dix millions de militaires morts à la guerre ne sont ni français ni allemands ? Se souvient-on que l’issue a dépendu de la résistance des populations civiles et de leur mobilisation ? Sait-on qu'en éliminant nos paysans en 14-18, les va-t-en guerre ont en partie détruit la France rurale ? Se souvient-on que les femmes ont remplacé les hommes disparus, travaillant dans les derniers champs ou devenant des ouvrières ? Et que dire de la responsabilité des gouvernants et des généraux qui furent la cause de ce qu'il faut bien appeler un massacre ?
Décidément, le livre de Bruno Mascle édité par La Bouinotte arrive à point : au delà du calvaire d'Abel Garçault il incite à ouvrir à nouveau le dossier de la guerre de 14/18. Pour ceux qui liront cet ouvrage, le 11 novembre aura du sens.
> Bruno Mascle. Interview dans la Nouvelle République du 23 octobre. >>> Lien.
> "Fusillé pour l'exemple, Abel Garçault (1894-1914)", par Bruno Mascle. Éditions de La Bouinotte. Un livre broché de 150 pages. Format 21X14 centimètres. Prix 17 euros. À la boutique presse d'Henrichemont, la librairie La Poterne à Bourges.
> Quelques DVD sur la “Grande Guerre” - de beaux films sur les fusillés pour l'exemple, les gueules cassées ...etc. Blanche Maupas, de Patrick Jamain. La vie et rien d’autre, de Bertrand Tavernier. Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet. Les fragments d’Antonin, de Gabriel Le Bomin. Johnny s’en va t'en guerre, de Dalton Trumbo. Les sentiers de la gloire, de Stanley KubricK.