Le 13e festival Aux quatre coins du Mot s'est déroulé à La Charité sur Loire du 25 au 29 mai 2022. Au programme : théâtre, humour, conférences, animations et une librairie éphémère. Du matin au soir, le festival offrait de nombreux événements dont la plupart étaient gratuits. On pouvait savourer cette manifestation originale en flânant dans le site du Prieuré, son cloître, son église, ses fortifications, dans les rues de la ville, et sur les bords de Loire. Faire un festival consacré au mot, à la culture et à la langue française semble une sacrée gageure ! Eh bien, ici, c'est une réussite qui se renouvelle chaque année. Un exemple de culture populaire où chacun se distrait, rit, écoute et s'enrichit de connaissances nouvelles. Pas de paillettes, pas de pipoles, pas de snobs, mais des artistes de talent, des intervenants de qualité, peu de moyens, beaucoup de bénévolat, le Festival du mot brille par son intelligence.
Gilblog y était pendant quatre jours ; voici un aperçu de quelques événements.
> Les Roca, père et fils. L’un jongle avec les mots, l’autre avec les objets. On pourrait croire ce rapprochement un peu tiré par les cheveux, mais les deux partenaires en font un spectacle étonnant. À La Charité, on connaît Vincent Roca, son inventivité et sa pratique virtuose de la langue française, on ne connaissait pas Idriss Roca qui jongle avec les massues, les œufs frais et même les omelettes. Dans une totale complicité, les deux artistes nous ont donné le spectacle d’un défi qui a ravi les oreilles et les yeux !
> Pourquoi les poules préfèrent être élevées en batterie. Conférence spectaculaire de Jérôme Rouger. Le professeur Rouger, directeur de l’école d’agriculture ambulante, aborde les questions des droits de la poule et des conditions de vie de l’oeuf. Pourquoi les poules ressentent-elles le besoin de se coller les unes aux autres dans des conditions si peu enviables ? Entre informations scientifiques et propos discutables, poule mouillée et chair de poule, cette pseudo conférence se déroule en plein absurde (enfin, pas tant que ça…) pour refléter des thèmes très actuels…
En s’affirmant Grand Maître du cours magistral détourné, Jérôme Rouger a donné au public une démonstration de pince sans rire et une métaphore acidulée de la condition humaine !
> Elliot Jenicot. 100% Devos. Les fous ne sont plus ce qu’ils étaient. Mêlant humour et naïveté c’est le retour du Devos qu’on aime, grâce à un acteur étonnant. Bousculant les limites entre le théâtre et le mime, Elliot Jenicot nous transporte dans un univers où le music-hall rejoint la Comédie Française. “Il y a un homme qui manifestement s’est fait tout seul. Et qui s’est raté”. Un seul en scène habité par deux propriétaires : l’un est Elliot Jenicot, celui qu’on voit, qu’on écoute, qu’on entend respirer et transpirer et l’autre, Raymond Devos, celui qui inspire, dont les mots ont trouvé un nouveau raconteur, et quel raconteur !
> Le discours, de Fabrice Caro, joué par Benjamin Guillard. Adrien vient de se faire larguer par la femme de sa vie, et attend désespérément de sa part une réponse aux SMS pathétiques qu’il lui envoie. C’est ce moment que choisit son beau frère pour lui demander de prononcer un discours à l’occasion du mariage de sa sœur lors d’un de ces repas dominicaux où l’on étouffe. Mais hormis le fait qu’il n’a aucune disposition pour les discours, et encore moins pour cette famille qui l’insupporte, Adrien n’a pas la tête à ça. Ce perdant magnifique est interprété par Benjamin Guillard, qui donne vie avec délicatesse et humour à ce texte bien ficelé. Chacun y reconnaîtra une part de lui-même et de situations vécues. Le Discours, roman de Fabrice Caro, a été adapté au cinéma. Il est désormais porté à la scène. Et ce fut un succès longuement applaudi aux quatre coins du mot.
> Les Morel père et fils, en scène avec le “Dictionnaire amoureux de l’inutile”. François et Valentin Morel viennent de publier leur premier livre avec un sujet qui aborde à peu près tous les thèmes et qui change de ton à volonté. “On nous demande tellement d’être rentables… L’inutile, c’est la collection de tous les moments, parfois difficiles à identifier mais qui sont de vrais moments de vie. Par exemple les ricochets sur l’eau. Ça ne sert à rien mais c’est beau” dit l’un des Morel dans une récente interview.
François et Valentin Morel ont fait une lecture à deux voix devant un public suspendu à leurs paroles. Ils ont été salués par des salves d’applaudissements. Preuve qu’on était bien au festival du mot.
> Histoire approximative, mais néanmoins non écourtée de Boby Lapointe, par Les compagnons pointent. Venus spécialement de Belgique, aidés d’un projecteur hors d’âge et d’un bazar d’accessoires, trois conférenciers œuvrent avec le R.P.F pour la Restauration du Patrimoine Français (sic). Ils ont engagé une lutte acharnée contre l’invasion de la chanson anglophone et défendent la langue française en dédaignant le ridicule qui les guette à chaque instant. Ils font la biographie de Boby Lapointe, ce natif de Pézenas, qui pratiquait audacieusement le calembour, le double sens et les à peu près drolatiques. Les trois compères retracent en chansons et fredaines le parcours de ce virtuose du chanter français qui a galéré avant de pouvoir enregistrer ses textes. “Dans la vie, j’ai eu des hauts et des bas ; dans les hauts, j’installais des antennes et, dans les bas, j’étais scaphandrier”. Prenant appui sur un manuel rédigé par Boby Lapointe lui même, nos trois experts nous entraînent dans un récit bricolé avec un pince sans rire total, dans les rebondissements d’un exposé burlesque ….et souvent musical.
> Thierry Paquot et la transmission orale. Après avoir présenté Nietzsche et son ouvrage Le Gai Savoir, le dimanche matin, à l'ombre d’une toile dans la cour du cloître du Prieuré, le philosophe et professeur Thierry Paquot a rejoint le cellier (toujours du Prieuré). C’est là que nous sommes allés l’écouter parler …de la transmission orale. Encore un épisode de gai savoir pour un auditoire attentif avec deux causeries souriantes où tout semble facile. Aux quatre coins du mot, le public philosophe avec l’air de ne pas y toucher.
> Le “Kapouchnik", Cabaret Politico-Poético-Rigolo. "Kapouchnik" est un mot Russe qui désigne une soupe aux choux dans laquelle on met un peu de tout. Le "Kapouchnik" est un Cabaret Politico-Poético-Rigolo, inspiré de l’actualité. Qui fait immanquablement penser à ce que faisait Jacques Prévert avec le groupe Octobre, c’est à dire du théâtre Agit-prop, (on a un peu oublié car c’était avant la dernière guerre mondiale.)… Ce cabaret politico-poético-rigolo est un "traitement humoristique de l'actualité" à partir des médias locaux, nationaux et internationaux par une troupe endiablée et inventive. Une douzaine d’actrices et acteurs, danseuses et musiciens qui n’ont peur de rien et qui entraînent le public dans des rigolades souvent très critiques (mais c’est l’époque qui veut ça…).
> Fin du reportage. À l’an prochain à La Charité sur Loire !