Il est nécessaire d'élever les gens au niveau de la culture et non d'abaisser la culture au niveau des gens. [Simone de Beauvoir]
On la nomme encore maison de la culture, mais depuis que, après mai 1968, Gabriel Monnet a été viré par le maire de Bourges pour son indépendance d'esprit et son ambition culturelle, la scène nationale de la place Séraucourt (au delà de son architecture), a peu de choses à voir avec ses origines.
Le véritable statut de ce que les berruyers appellent encore maison de la culture n'est plus celui d'une maison de la culture dirigée par un directeur-homme de théâtre et une association de spectateurs, car en 2010 l'association qui administrait la MCB a été remplacée (non sans heurts) par un EPCC (Établissement public de coopération culturelle, chapeauté par l’administration), avec le label scène nationale.
Adieu l'indépendance, la liberté de création pour une culture émancipatrice.... La scène nationale de Séraucourt a pris la suite.
Et comme la municipalité de Bourges n’a pas défini de politique culturelle et n’en n’a jamais débattu avec les citoyens (une dimension qui manque à la nouvelle capitale européenne de la culture), c’est une autre instance qui en décide : le ministère de la culture et l'EPCC.
Comme les autres scènes nationales, les activités de celle de Bourges s’organisent autour d’un ensemble de missions définies par le ministère (attention au charabia technocratique) : une responsabilité d’entraînement, d’animation et de références pour le paysage de la création et de la diffusion artistique qui l’environne. Elle porte une considération permanente à son territoire et à sa population, dans toutes leurs composantes particulières…
C’est en ce langage, le 16 décembre 1991, que Bernard Faivre d’Arcier, directeur du Théâtre et des Spectacles au Ministère, en a défini les contours dans des termes qui évacuent le rôle libérateur de la culture. De nos jours, depuis que l’État a pris la main, le caractère étatique du projet montre la rupture avec la décentralisation culturelle et les Centres dramatiques nationaux, le TNP de Jean Vilar, puis le projet d’André Malraux. Pour ceux qui en douteraient encore, je les engage à lire la page de l’association des scènes nationales : >>> Lien.
Bien sûr, la plupart des spectacles de la scène nationale de Séraucourt sont de qualité, choisis parmi un ensemble de productions de bonne qualité artistique, ce n’est pas contestable.
Mais écoutons Olivier Atlan interrogé par Toute La Culture le 7 septembre 2021 : “Nous sommes une maison de la culture avec des missions qui sont celles d’une scène nationale” et il précise : “Auparavant, dans la Maison de la culture de Bourges, il y avait tout : bibliothèque, vidéothèque, arts plastiques, spectacles.” (On pourrait ajouter : il y avait aussi une troupe de théâtre, de la chanson, des expositions, un journal, des soirées cabaret, un lien vivant avec le public… mais avec la scène nationale, ça n’existe plus).
Il faut que vous compreniez bien que ce qui se passe ici est une certaine aventure probablement unique dans le monde entier, déclara André Malraux lors de sa venue à Bourges en 1964. En effet, parmi les maisons de la culture de cette époque, celle Bourges était exemplaire pour son effervescence créative.
Ne se bornant pas à diriger des artistes et des techniciens, Gabriel Monnet savait concevoir un programme, fédérer les talents et susciter des vocations, en vrai capitaine ! Monnet avait mis en place un conseil culturel composé d’ouvriers, d’enseignants, de commerçants et d’entrepreneurs, avec plus de 150 relais touchant tous les secteurs d’activités du département. Ces commissions permettaient d’associer toutes les couches de la population : la MCB comptait jusqu’à plus de 11 000 adhérents.
À partir des années 70, il y eut d’autres maisons de la culture à Grenoble, Chambéry, Nevers… mais elles fonctionnaient différemment. En 1990, elles ont été remplacées par les scènes nationales.
Il y a quelques années, une grande enseigne de distribution du livre et du disque avait pris pour slogan celui d’agitateur culturel. On aimerait que Bourges renoue avec le joyeux bouillonnement artistique, les liens noués avec la jeunesse et la population berruyère, animés par Gabriel Monnet, et qui méritaient mieux le qualificatif d’agitateur culturel.
Et ça avait une autre gueule, on en conviendra.
Il faudra bien que renaisse un jour une vraie maison de la culture à Bourges. Un projet pour la nouvelle capitale européenne de la culture ?
> Photos. Une allégorie de l’émancipation, Psyché de Molière au Festival d’Avignon 2021. Carte des scènes nationales. Bernard Faivre d’Arcier. La belle saison, Gabriel Monnet à Bourges.
> Lire La belle saison, Gabriel Monnet, le livre édité par Double Cœur qui témoigne de cette époque.
“Ne pas confondre culture et Cultura”, page de gilblog en 2014. >>> Lien.
Une histoire des Scènes nationales. >>> Lien.
Carte des scènes nationales en France. >>> Lien.