Jean-Claude Bourdin, membre éminent de l’association pomologique du Berry, curieux d’histoire locale, chercheur obstiné, est aussi (qualité supplémentaire), un lecteur de gilblog. Sous le titre Origine et ancienneté du verger de Saint-Martin d’Auxigny, autrefois “la forêt Saint-Martin”, il a publié une intéressante étude sur les origines du verger de “poummes” de Saint Martin d’Auxigny, qui représente actuellement 550 hectares de superficie, et une production de l’ordre de 15 à 20 000 tonnes de pommes par an.
Pour vous mettre dans l’ambiance, voici une légende sur l’origine des vergers de Saint-Martin, mais qui n’a rien d’écossais, celle là. Elle se situe en l’an 400 environ. Le bon saint Martin, perdu dans la forêt de Haute-Brune, aperçut à travers les arbres la lueur d’un feu. Autour du foyer, des hommes, des femmes et des enfants étaient réunis. Pour lui faire hospitalité, ils lui offrirent des fruits sauvages, leur seule richesse. Au petit matin, pour les remercier, saint Martin mit le feu aux buissons sauvages, laissant à la place des arbres fruitiers. Ces arbres furent désormais chargés de fruits abondants et savoureux….
On sait que la tradition orale attribue la création du verger à des écossais de l’armée des Stuarts d’Aubigny venus épauler le roi de France pour chasser les anglais. Eh bien, Jean-Claude Bourdin a réuni des informations qui constituent une approche sérieuse du fait historique, ce qui nous éloigne sérieusement de la légende. J’en résume quelques éléments essentiels dans cette page.
Avant de remonter plus loin dans le temps, Jean-Claude Bourdin cite une communication d’Hippolyte Boyer dans les Mémoires des sociétés savantes du Cher, qui atteste l’existence de la culture des arbres fruitiers dans la forêt Saint-Martin, par le texte d’un procès de 1688.
Un berruyer avait loué un terrain en bordure de la forêt Saint-Martin, objet de la contestation. “Le sieur François Mercier, marchand confiseur à Bourges, ayant en 1688 arrenté sept arpents de terre dans la Forêt, les fit fossoyer et planter en verger. Une partie de ces terrains était incontestablement dans le district des usagers. Aussitôt ceux-ci de s'élever contre l'aliénation de ces terres, avançant que le prince avait attaqué leur privilège de jouissance, et, pour joindre l'acte à la parole, ils arrachèrent les plantations de Mercier et menèrent pacager leurs bêtes sur les terrains en litige. Celui-ci porta plainte au Bureau des finances (…). Dans la requête des gens de Saint-Martin comme défendeurs, ils répondirent qu'ils étaient, à l'exclusion de tous autres, usagers de la forêt de Haute- Brune et lieux en dépendant; que ces terrains leur étaient d'autant plus nécessaires pour l'entretien de leurs bestiaux, que le territoire de Saint-Martin n'offrait que des vergers ensemencés, où les bêtes ne pouvaient pacager, qu'ils ne pouvaient donc, en aucune façon, tolérer un système d'arrentement nouveau…”
Plus ancien encore, un bail de fermage de 1632, montre l’existence de la culture fruitière : “En 1632, un bail d’acense est consenti par Joseph Alabat, procureur du bailliage et présidial de Bourges au profit de Bernard dit le Merle, paroissien de Saint-Martin-d’Auxigny, pour une durée de 7 années de la métaierie de la Bélistrerie située dans ladite paroisse. Le bail est fait moyennant chaque année 75 livres, 2 benneaux de poires de Chambrinat, idem de pommes de Rainette ou de Courpendu, 2 boisseaux de châtaignes, un boisseau de pruneaux et 4 poules”.
Donc, à l’époque où Sully achetait la Principauté de Boisbelle et faisait bâtir Henrichemont (1609), on cultivait la poumme à Saint-Martin, et un locataire payait son bail en benneaux de pommes !
Et maintenant venons en aux écossais, et résumons d’après Jean-Claude Bourdin : Dans le cadre de la Vieille Alliance (Auld Alliance) entre Écossais et Français, une troupe écossaise de 17 000 hommes est venue de 1419 à 1424 pour aider le roi Charles VII à chasser les Anglais, lors de la guerre de Cent ans qui dura de 1337 à 1453 (étude de Jean- Yves Ribault en 1974). En remerciement de ce concours, Charles VII fit don d’un certain nombre de propriétés en Berry et ailleurs en France, aux “généraux” et “capitaines” commandant cette troupe. C’est ainsi que onze familles écossaises habitaient Bourges au 15ème siècle, et qu’un noble Stuart eut le fief d’Aubigny. Mais s’il n’y a pas d’écrits cités par des historiens, s’intéressant aux soldats-mercenaires restés en Berry, on imagine aisément que désormais privés de leur solde, ils furent nombreux à s’établir auprès de leurs chefs et à prendre femme dans notre province. Notons que le terme mercenaire s’applique bien à leur situation car le début de l‘armée régulière, avec des troupes rémunérées de façon permanente, commence en 1479, après la fin de la guerre de Cent ans.
Ces événement se déroulent environ deux cents ans avant les affaires de François Mercier et de Joseph Alabat, et de la construction d’Henrichemont.
Ceux qui ont de bons yeux, verront que la carte de Cassini de 1756 (la première cartographie entière de la France, ordonnée par Louis XIV), mentionne expressément et délimite le territoire des arbres fruitiers situé entre Saint Martin et la forêt de Hautebrune, ainsi que le château de la Salle-le-Roi. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Un demi siècle après l’établissement de la carte de Cassini, Philippe-Jacques de Bengy de Puyvallée, militaire et homme politique berrichon (1743-1823) écrit en 1810 un Mémoire historique sur le Berry. Il y évoque le don par Charles VII, d’une partie de la forêt de Haute Brune, à une colonie d’écossais : “Lorsque ce Jean Stuart eut mérité, par ses services, la haute estime dont il jouissait auprès de Charles VI et Charles VII, il fit venir en France une colonie d’Écossais, ses compatriotes”. Il indique aussi la création d’une justice pour eux au château de la Salle-le-Roi (démoli en 1589 pendant les guerres de religion), “à la sollicitation des habitants de Bourges qui s’inquiétaient de ces écossais”.
Le marquis de la Guère, qui avait épousé une demoiselle de Stutt (descendants directs de nobles écossais) publie en 1885, un ouvrage de 285 pages, sur la généalogie de la maison de Stutt. “Les généraux reçurent, en outre de leurs différentes dignités, les châtellenies de Concressault et d'Aubigny, le comté d'Évreux, etc, les simples soldats ne furent pas oubliés il en fut établi dans le canton de Saint-Martin d'Auxigny, sur les confins de la forêt de Haute-Brune, toute une colonie qui jouissait de privilèges considérables et qui était régie par une justice spéciale dont le siège se tenait au château de la Salle-le-Roi. D'un autre côté, les officiers secondaires se répandirent dans les différentes parties de la France, et plus spécialement dans les provinces centrales, par le fait des dons royaux, des alliances contractées, ou encore d'acquisitions dues aux libéralités royales. Douglas, comte de Wigton, reçut la viguerie de Dun-le-Roy (…). Parmi ceux qui contractèrent mariage, nous distinguons Jean Cockborn qui, épousant Guillemette de Bastard, devint seigneur de Fussy, près Bourges, etc, etc. Enfin Guillaume de Meny-Peny acheta, avant le 5 mars 1455, d'un Stuart d'Aubigny la châtellenie de Concressault; Thomas Haliday avait fait l'acquisition de Neuvy-Pailloux, le 10 septembre 1460“..… (Citation résumée).
Enfin, Édouard André (1840-1911) le grand jardinier paysagiste, créateur de jardins, y compris à l’étranger a écrit un opuscule de 10 pages pour la Société du Berry en 1863 : “La Forêt de Saint-Martin, son histoire, ses habitants, ses productions”. Dans cette étude, Édouard André détaille le mode de travail et de production des fruits pour lequel il a enquêté : comportement des forêtains, variétés de fruits, type de plantation, etc ...
Ce document est d’un intérêt remarquable, ajoute Jean-Claude Bourdin. On y découvre ”une population qui n'a presque rien de commun avec les populations d’alentour” et “l'activité, l'intelligence et l'industrie commerciale de la nouvelle colonie des hardis défricheurs de la forêt de Haute-Brune”. “Sur tout le territoire de ce nom, les champs sont couverts d'arbres à fruits qui font de cette riche localité un immense verger. Aucune partie de la Normandie, même la plus plantée, ne saurait entrer en comparaison avec ce fécond petit coin de terre. Ils sont actifs, vigilants, courageux, durs à leur tâche, hardis dans leurs opérations commerciales. Longtemps avant le chemin de fer, ils amenaient bravement à Paris les fruits qui les encombrent. Ils ne craignaient pas de se mettre en route seuls avec leur petit cheval et leur frêle carriole. Depuis, au premier signal de la vapeur, on les a vus, on les voit tous les jours, charger en vrac, à pleins wagons, les fruits qui portent sous les halles de Paris, l'abondance et le bon marché pour la classe ouvrière”.
La suite de l’histoire des forêtains et de leur verger est écrite dans la presse des 20°eet 21°esiècles…
> La tradition orale qui fut pendant des milliers d’années le seul mode de transmission du savoir se voit ainsi confirmée par un faisceau de faits qui permettent d’approcher un peu plus la réalité historique.
Un jour peut-être, des historiens découvriront de nouvelles preuves de la présence et de l’installation de mercenaires écossais à Saint Martin. Mais les vergers les avaient-ils précédés ? En furent-ils les créateurs ? Encore des questions pour le moment sans réponse.
En attendant, la recherche de Jean-Claude Bourdin permet de mettre les amateurs d’Histoire locale sur la bonne voie !
> Ayant passé les belles années de mon enfance à Saint-Martin, petit-fils et arrière petit fils de forêtins, vous pensez si je suis heureux de publier cette page !
> Illustrations de haut en bas. Le bourg de Saint-Martin d”Auxigny, carte postale ancienne - cliquez pour agrandir. Vue sur la forêt, carte postale ancienne - cliquez pour agrandir. Archers de la garde écossaise de Charles VII. Saint Martin sur la carte de Cassini cliquez pour agrandir. Caisses de pommes à la récolte. Jean-Claude Bourdin.
> On peut lire l’intégralité de l’article de Jean-Claude Bourdin qui contient bien d’autres informations ainsi que leurs sources : ”Saint-Martin et ses pommes", dans les pages du site de Saint-Martin-d’Auxigny. >>> Lien.