Vendredi 17 septembre. Longue séance. Le tribunal de Bourges juge plusieurs affaires qui ont priorité dans l'horaire car les accusés, extraits de la prison, doivent y retourner après le jugement. Pas de temps à perdre, mais on ne bâcle pas pour autant. De pauvres garçons, multirécidivistes, pour vols, cambriolages, trafic de stupéfiants, sont interrogés avec patience et humanité par la Présidente du Tribunal, madame Barruco. On n'en rajoute pas dans les réquisitoires, les avocats font de leur mieux, les prévenus coopèrent comme ils peuvent et reconnaissent les faits du bout des lèvres. Les peines sont prononcées, la justice passe.
Plusieurs affaires sont traitées, attente. On attendra la toute fin de l'après midi pour que la plainte de Matthieu Bourrette (ex Secrétaire général de la Préfecture) contre Jean-Michel Pinon (Directeur de publication du journal satirique et du site web "Berry ripou") pour injure publique, soit examinée par le Tribunal.
> Pour ceux qui n'auraient pas lu les épisodes précédents, je résume. Au début de l'année 2010, sur ordre de la Préfecture du Cher, les membres d'une famille russe sont réveillés à cinq heures trente du matin, la police sépare les enfants de leur grand-mère et expulse en quelques heures par avion ces sans-papiers. En février le site "Berry ripou" publie une caricature, détournement d'une affiche du film "La rafle" sur laquelle le visage de Matthieu Bourrette remplace celui d'un agent de police emmenant deux garçonnets. Sur les vêtements des deux enfants, des drapeaux russes remplacent les étoiles de David qui figuraient sur l'affiche originale. L'image réagit à un fait d'actualité et le commente à la fois. On est bien dans un journal satirique. Ajoutons qu'on voit bien pire chaque semaine dans Charlie Hebdo, et dans le genre caca prout. Parce qu'ils exposent publiquement leurs actes en assumant le risque d'être critiqués, des hommes politiques (et d'autres personnalités), en voient d'autres, des vertes et des pas mûres... C'est pourtant ce pastiche de l'affiche "La rafle" que Matthieu Bourrette (alors Secrétaire général de la Préfecture du Cher) considère comme "injure publique".
Or, monsieur Bourrette avait le choix : ou bien il exécutait les directives ministérielles, ou bien il refusait en conscience de s'y conformer (avec risque de réprimande), ou bien encore se faisait porter pâle (avec certificat médical) ce qui lui évitait de faire appliquer la rafle. Monsieur Bourrette a fait son choix. Monsieur Bourrette a été caricaturé dans un journal satirique.
> Rapide dénouement (enfin presque). Madame Barruco, Présidente du Tribunal, après avoir exposé le contenu de la plainte, donne la parole à Yann Galut (l'avocat de Jean-Michel Pinon). Maître Galut expose que la requête du plaignant invoque des articles qui ne correspondent pas à la citation (notamment l'article 32, qui concerne les particuliers). Après un très bref développement, Maître Galut demande au Tribunal de reconnaître la nullité de cette procédure. Puis tout va très vite, madame le Procureur se range à l'avis de Maître Galut, ainsi que Maître Jacquet, avocat de Matthieu Bourette. On dirait bien qu'il y a nullité. Le tribunal se retire. Retour après quarante cinq minutes de délibérations.
Madame la Présidente Barruco énonce la décision du Tribunal : Le Tribunal correctionnel n'a pas été régulièrement saisi, la citation de monsieur Bourrette est atteinte de nullité.
Il y avait un peu plus de soixante personnes pour assister au procès, Matthieu Bourrette n'avait pas fait le déplacement.
Quelques minutes plus tard sur le perron du Palais de Justice, brefs discours, applaudissements, embrassades et congratulations.
> Mais, direz vous (en tous cas vous pourriez le penser), pourquoi ce tintouin, pourquoi faire perdre du temps au tribunal de Bourges (déjà trop occupé avec le quotidien), pourquoi gaspiller l'argent du contribuable en frais de justice, pourquoi poursuivre un modeste journal satirique ? Et comment Matthieu Bourrette, qu'on voit sur une photo assis derrière une pile de codes judiciaires, a-t-il pu se tromper de paragraphe et confondre l'article 31 avec l'article 32 ? Comment son avocat a-t-il pu commettre la même erreur ? Ne savaient-ils pas que leur procédure serait rejetée pour nullité ?
> Et si c'était pour éviter un débat sur le fond dans le cadre d'un procès de presse ? Et si c'était pour éviter le risque de perdre ? Et si c'était un calcul politicien ? Et si c'était simplement pour intimider "Le Berry ripou", ainsi que l'association "Comité de vigilance du Cher pour la défense du droit des étrangers" ? Et si c'était pour "frapper au porte monnaie" et retirer au journal l'envie de recommencer ? Et si tout ça était un avertissement de plus à la presse française ?
Conclusion en forme de jeu de mots - bien que nulle, la plainte n'était peut être pas innocente....
> PS. Mais qui paye l'avocat et les frais de justice engagés par Monsieur Bourrette ? Les citoyens berrichons, qui sont aussi des contribuables, aimeraient sans doute le savoir.
> Compte rendu d'audience et commentaires de Berry ripou : http://www.berry-inde.org/