Les œufs au vin "à la couille d'âne" sont-ils un classique de la cuisine berrichonne ? Si le nom peut offusquer les oreilles prudes, la saveur flatte le palais de tous les gourmands. Mais nombreux sont ceux qui ignorent l'origine de ce nom original, et souvent les restaurateurs ne connaissent même pas l'existence de la "couille d'âne".
Commençons avec Hugues Lapaire qui, dans la recette d'œufs au vin de son livre "La cuisine berrichonne" (1925), ne parle malheureusement pas de la "couille d'âne". Mais écoutons le tout de même avant d'en venir à une "vraie" recette.
Les œufs au vin sont fort prisés des vignerons et des paysans du Sancerrois. Un compatriote me racontait sa visisite chez une de ses parentes, fermière à Sury en Vaux : "Elle jeta, me dit-il, une javelle de sarments dans la vaste cheminée elle vida dans un chaudron en cuivre, un broc de vin. Elle coupa ensuite plusieurs oignons en tranches très minces, ajouta du sel, du poivre, un bouquel garni, puis disparut... Où était-elle allée ? Tout droit aux nids des poules. Elle revint un instant après, les larges poches de son tablier bourrées d'œufs, puis, s'agenouillant près de la flamme vive, elle se mit à casser un œuf en le frappant sur le bord d'un landier et le laissa choir dans le chaudron. Sans cesse, sa main plongeait dans la poche de son tablier, Enfin, avec un large "culeron", elle sépara habilemenlles œufs, les retira tout ruisselants de sauce".
La couille d'âne est tout bonnement une grosse échalote berrichonne comme le dit La Bouinotte dans une page sur les légumes oubliés (et peut-être n'était-elle pas exclusivement de l'ancienne province). C'est sans doute l'emploi de cette échalote au nom bien paysan et "bin d'cheu nous" qui fait la différence avec les recettes habituelles d'œufs en meurette, dans lesquelles on utilise l'oignon. La différence n'est pas bien grande, mais comme ça c'est berrichon avec un parfum de terroir. Donc la couille d'âne c'est l'échalote ...et pas l'œuf !
En attendant de savoir qui est le malin cuisinier qui a rebaptisé de ce nom original un plat ancien (et pas seulement berrichon), voici une recette.
Œufs au vin à la couille d'âne. Recette pour quatre personnes.
Cinquante grammes de beurre ou de saindoux.
Une échalote "couille d'âne", ou une belle échalote-oignon ou deux échalotes ordinaires.
Cent grammes de poitrine fumée ou trois filets d'anchois.
Une bouteille de vin rouge, du pinot noir du Berry ou du Bourgogne.
Persil, thym, laurier, (ail si l'on veut).
Huit œufs frais du marché ou du poulailler.
Cent grammes de farine.
Quatre tranches de pain de campagne.
Sel, poivre, sucre (si nécessaire).
Ciboulette.
Faites fondre le beurre (ou le saindoux), puis faites revenir et fondre à feu moyen l'échalote "couille d'âne" coupée en lamelles fines, infligez le même traitement au lard préalablement tranché en dés.
Saupoudrez avec la farine, et faites roussir en mouillant avec le vin rouge, sans cesser de touiller (à cause des grumeaux qui ne manqueront pas de s'inviter à la fête).
Ajoutez le persil, thym, laurier et remuez jusqu’à ébullition. Salez, poivrez et laissez mijoter pendant vingt à trente minutes à découvert ; ainsi l’alcool s’évaporera. Certains font bouillir le vin avant de l’incorporer, ce qui est plus efficace pour évacuer le goût fort du vin, je vous recommande ce tour de main.
Goûtez la sauce au vin et rectifiez l'assaisonnement si nécessaire. Si c'est trop fort, ajoutez une pincée de sucre et un petit verre d'eau.
Faites griller (ou frire) les tranches de pain de campagne. On peut aussi les détailler en croûtons.
Cassez les œufs un à un et pochez les dans la sauce au vin. Vous pouvez aussi les pocher dans une casserole d'eau (comme j'ai tendance à les louper, je m'y suis pris comme ça pour la photo). Une minute environ suffit, car le jaune d’œuf ne doit pas durcir.
Servez aussitôt en posant les œufs sur la sauce au vin et le pain grillé. Ajoutez quelques fines herbes coupées pour faire joli et raviver la saveur (désolé, je les ai oubliées au moment de faire la photo !).
> Cette recette resssemble fort à celle des œufs en matelote, ou "en meurette" de nos voisins bourguignons, une recette qu'on retrouve aussi en Anjou et dans le Poitou (on peut supposer qu'on faisait de oeufs au vin un peu partout en France, là où il y avait du vin et des œufs). Donc, à l'évidence cette recette berrichonne n'est pas aussi berrichonne que ça. Reste au moins le nom dû à l'échalotte, consolons nous avec ça et régalons nous !
Quant à la meurette ce n'est pas à l'origine une sauce au vin. On y fait cuire des poissons, des anguilles, de la viande, des escargots, ou des œufs. On y met des oignons, de l'ail, et parfois des lardons ou des anchois. Le mot murette est attesté au début du quinzième siècle, dans l'expression "murette de poissons". Ce mot est composé de l'ancien français muire, ou meure, "eau salée des salines ou des sources salées", suivi du diminutif ette. Muire ou meure sont dérivés du latin muria, saumure, eau salée. Sous l'ancien régime, le sel coûtait très cher et faisait l'objet d'un impôt : la gabelle. À cette époque, le sel était extrêmement précieux pour la conservation et servait essentiellement à cet usage. On y conservait la viande, les poissons, les légumes. D'ailleurs, dans les recettes anciennes, on n'utilise pas de sel brut pour saler les plats, mais du sel déjà employé pour une saumure. Et quand on mettait un morceau de lard, le talon, l'os ou la couenne du jambon pour parfumer la soupe, c'était aussi pour la saler. On utilisait aussi des anchois, comme en attestent de nombreuses recettes anciennes (essayez !).
> Ce dernier paragraphe sur la meurette est résumé de la page "Qui était là en premier : l'œuf ou bien la meurette ?" du site "Du miel et du sel". >>> Lien.
> On trouve de nombreuses recettes d'œufs au vin dans les livres de cuisine berrichonne, il y en même une avec du vin blanc dans celui de Renée Ledoux-Panis "Le bon boire et le bon manger en Berry" (tome 1 page 177) . Dans ce livre en deux volumes, Renée Ledoux-Panis donne plusieurs variantes d'œufs au vin en "couille d'âne", et plusieurs tours de main aussi. Tome 1 pages 177-178, tome 2 page 152.