Les magasins Carrefour (deuxième enseigne mondiale de la grande distribution), étaient présents au salon de l'agriculture (en février 2014). L'entreprise de grande distribution y présentait son nouveau label maison, baptisé "Origine et Qualité" qui remplaçait un autre label maison : "Engagement Qualité Carrefour". Le nouveau label s'applique sur plus de quatre-vingts produits de consommation, notamment les œufs, les fromages et la viande. Et c'est maintenant que ça dérape...
Plusieurs responsables d'appellations d'origine contrôlées de fromages (camembert, comté, pont l'évêque) ont protesté devant le stand de Carrefour. Pour eux, la chaîne de grandes surfaces établit une confusion volontaire avec les labels officiels AOP/AOC, afin d'induire les clients en erreur.
Dans l'hebdomadaire Marianne du 23 mai 2014 (page 87), le journaliste gastronomique Périco Légasse ne mâche pas ses mots : "Non contente de favoriser la mal bouffe, d'écraser ses fournisseurs et d'aliéner le marché par ses pratiques barbares, la grande distribution franchit désormais le cap du détournement de label public. Scandale déjà évoqué ici pour dénoncer le cynisme d'une enseigne qui n'hésite pas à récupérer les termes "origine" et "qualité", afin de promouvoir une gamme de produits n'ayant souvent ni origine ni qualité".
Et Périco Légasse se fait accusateur : "Le rapt de la formule "origine et qualité" n'a évidemment pour but que d'induire le consommateur en erreur, en lui faisant croire que cette distinction est conforme à celle de l'INAO (Institut national des appellations d'origine). Il faut dix ans à un produit agricole pour obtenir un certificat d"origine et qualité". Carrefour en use désormais à sa guise pour labelliser son porc breton ou ses pommes galas. Après plusieurs études de marché sur la façon de sensibiliser la clientèle aux messages de sa marque, c'est l'option du plagiat qui a été retenue. Carrefour préfère donc prendre le risque de détourner cette distinction réglementée pour s'en faire un slogan".
Mais les choses ne s'arrêtent pas là. Patrick Mercier, vice-président des producteurs de camembert de Normandie, accuse Carrefour de confondre volontairement les labels officiels de qualité et le marketing. Et ensuite, ce qui devait arriver arrive : l'INAO, lance l'offensive contre les méthodes de la grande distribution, soutenu par les filières qu'il représente, et engage une procédure judiciaire contre Carrefour pour usurpation.
Les appellations d'origine contrôlée (AOC) françaises sont reconnues par l'INAO (Institut national de l'origine et de la qualité). Ce sont des produits alimentaires d'origine animale (viandes, produits laitiers, fruits de mer, miel) ou végétale (vins et liqueurs, fruits et légumes et produits dérivés). Ces appellations sont soumises à un contrôle régulier des pratiques et de la conformité du produit. Elles bénéficient généralement au niveau européen du label AOP (appellation d'origine protégée).
En assignant Carrefour en justice, l'INAO veut mettre fin à une méthode de marketing tricherie trop facile qui dure depuis des années. Il faut rappeler que depuis 1935, le logo AOC est accordé aux producteurs qui réunissent des conditions de qualité exigeantes définies dans un cahier des charges. Le label AOC est le seul signe reconnu par l'État, il est une véritable garantie d'authenticité pour le consommateur.
Quant aux soi disant labels Carrefour, on ne sait rien de la manière dont ils sont distribués... On devine facilement qu'en attribuant le label maison "Origine et Qualité" à un produit ordinaire acheté à bas prix, Carrefour peut le revendre avec une plus grosse marge, donc plus cher, au consommateur.
Mais il existe aussi une autre actualité, et les enjeux ne se limitent pas à une affaire franco-française.... Dans l'hebdomadaire La Terre du 27 mai 2014, Jean-Luc Dairien, directeur de l'INAO, répond à la question du journaliste Olivier Morin : Si le Grand marché transatlantique était effectif, ce serait Carrefour qui vous traînerait devant les tribunaux pour entrave à ses profits ?
"C'est un combat que nous menons depuis 1935 : défendre sur la scène internationale la propriété collective des indications géographiques contre une interprétation libérale et anglo-saxonne du droit des marques. Jusqu'à présent, nous n'avons pas tout gagné, mais nous avons réussi à défendre la reconnaissance du concept. En ce moment le débat a lieu avec les États-Unis, mais il a été âpre et difficile avec la Chine, il y a peu de temps. Nous avons obtenu des garanties qui consolident le fait que les appellations d'origine sont d'une autre nature que les marques d'ordre privé et qu'elles méritent une reconnaissance internationale par traité". Pas de doute, on en reparlera encore, et même bientôt.
Je fais encore appel à Périco Légasse pour la conclusion. Peut-on "impunément se moquer des normes protégeant à la fois l'authenticité de notre patrimoine alimentaire, les procédures officielles d'appellation et les intérêts du consommateur. Pour l'heure, Carrefour s'assoit dessus. Le Tribunal de Grande Instance ayant considéré qu'il y avait urgence à statuer, la justice tranchera en juillet".
En attendant, ouvrez l'œil, il n'existe qu'un vrai label : l'AOC ou l'AOP.
> Pour en savoir plus, vous pouvez consulter Wikipedia et la liste des produits français bénéficiant du label AOC. >>> Lien.