Une pieuvre nommée Acta.

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L'Acta (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) est un traité international multilatéral visant la contrefaçon et la protection des "droits de propriété intellectuelle" que certains pays ont déjà signé. Préparé aux États-Unis, il serait appliqué dans un premier temps en Europe et dans neuf autres pays, puis il s'étendrait au monde entier. Accord contre la contrefaçon, qu'y a-t-il derrière ces mots anodins ?

L'Acta est une espèce de "fourre tout" qui concerne les marchandises, les produits contrefaits, les médicaments génériques ...et les infractions au "droit d’auteur sur Internet". En effet le titre du traité annonce que l’accord ne couvrira que la violation de brevets, mais le texte en lui-même aborde aussi les infractions au "droit d’auteur". L'Acta vise à établir un nouveau cadre juridique que des pays peuvent rejoindre volontairement (?), et à créer son propre gouvernement qui s'ajoute aux institutions internationales existantes (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Organisation mondiale du commerce, Nations Unies...etc).

Pour l'Europe, la signature par vingt-deux États Membres (dont la France), le 26 janvier 2012 à Tokyo, a commencé par un coup de théâtre. En effet, Kader Arif, député européen et rapporteur du projet au Parlement européen a démissionné de son poste pour dénoncer l’ensemble du processus de ratification de l’accord négocié en toute opacité durant plus de trois ans par la direction " commerce international " de la Commission européenne. Et Kader Arif, n'est pas tendre, il qualifie la négociation par le mot de mascarade ! Le député fait part des menaces que ce texte fait peser sur la société civile, de l’absence de prise en compte des revendications du Parlement européen concernant les atteintes aux droits individuels, et de manœuvres pour que le traité soit adopté avant que l’opinion publique ne soit alertée. 

Il y a de quoi être alerté, en vérité. La réglementation de l'Acta est extrêmement sévère : elle pourrait punir les citoyens partout dans le monde pour des activités banales telles que partager un article de journal, illustrer un site web, ou mettre en ligne la vidéo d'une fête où on entendrait de la musique dont les droits sont protégés. Ces dispositions pourraient servir de prétexte pour fermer des blogs et attenter à la liberté d'expression et d'information. Présenté comme un accord commercial protégeant les droits d'auteur (en réalité les intérêts commerciaux des multinationales), l'Acta pourrait aussi conduire à l'interdiction de médicaments génériques de premier secours et menacer l'accès des agriculteurs aux semences dont ils ont besoin (on imagine les conséquences dans les pays du tiers monde). Plus incroyable encore, le comité Acta aurait carte blanche pour modifier ses propres règles et sanctions, sans aucun contrôle !

D'ailleurs les autorités états-uniennes répriment déjà ce qu'elles nomment piratage et contrefaçon en s'attaquant aux noms de domaine (une partie de l'adresse) utilisés par les sites web. En effet, les principaux domaines sont gérés par des organismes situés aux États-Unis, notamment les extensions .com, .net, .biz, .info et .org. En 2010, les autorités US ont saisi plus de soixante dix noms de domaines, ce qui a rendu les sites concernés inaccessible aux internautes, quel que soit leur pays.

> Interviewé par Owni.fr, Kader Arif déclare "Je ne donnerai qu’un exemple pour illustrer le risque croissant auquel nous faisons face : Acta prévoit des sanctions pénales pour lutter contre les personnes souhaitant tirer un bénéfice commercial d’une contrefaçon. Cela peut avoir du sens pour la vente de faux sacs ou chaussures, mais qu’en est-il des données téléchargées sur internet ? Si un État considère qu’il est possible de tirer un bénéfice commercial d’une seule chanson téléchargée illégalement, alors un citoyen pourra être arrêté à la frontière, se faire fouiller ses effets personnels et subir des sanctions pénales, tout simplement parce qu’Acta ne fait pas de différence entre un citoyen lambda qui a téléchargé une chanson pour son usage personnel et une personne souhaitant organiser une activité lucrative basée sur de la contrefaçon à grande échelle. Pour moi il y a là un problème d’équilibre entre protection des ayants droits et protection des citoyens, Acta va trop loin".

Grâce à WikiLeaks, des documents ont été publiés sur l'Internet en mai 2008  provoquant de vives réactions contre ce projet des firmes multinationales et du gouvernement états-unien, mené dans une totale opacité. Déjà une pétition avec plus d'un million de signataires a été remise aux instances européennes et certains leaders européens commencent à réaliser (bien tardivement) la portée de leur erreur.

Le projet Acta fait partie de la même famille que les lois Pipa et Sopa (lois états-uniennes dites "anti-piratage" dont le vote a été repoussé grâce à la protestation - trois millions de signatures sur une pétition aux USA. La loi Hadopi est du même acabit.

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Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net vient de déclarer : " La Commission européenne ment éhontément aux eurodéputés en présentant Acta comme un accord acceptable. En signant Acta avec les États Membres de l'UE, la Commission européene a fait fi des critiques légitimes de milliers de citoyens européens qui ont manifesté ces derniers jours contre Acta. Les citoyens doivent contacter leurs élus pour rétablir la vérité : Acta est un contournement de la démocratie et attaque les libertés pour tenter de protéger les modèles économiques dépassés d'industries de rentes." 

> Mais qui sont donc les vrais pirates ?  Qui sont ces industries de rentes ? Qui vole à la fois les inventeurs, les artistes et les consommateurs ? Qui réalise des marges énormes sur les produits culturels et industriels ? Ce sont les fameux "ayants droits", les multinationales du médicament, du logiciel, de l'agro business, les industries du divertissement (grandes maisons de disques, industrie du cinéma, grands distributeurs). Voyez plutôt les graphiques représentant la répartition des sommes dépensées par le consommateur pour de la musique ou des livres.

L'Acta vise tout simplement à étendre au monde entier la protection de ces privilèges (et là, ce sont de vrais privilèges !), sous le terme mensonger de "protection de la propriété intellectuelle". En fait de propriété intellectuelle, c'est la protection des "ayants droits" et des multinationales, barricadés derrière des millions de brevets et de dépôts ; c'est la protection des milliards de dollars que ces brevets et dépôts leur permettent d'encaisser. Faut-il que ce soit par dessus les frontières et les lois nationales, avec des moyens démesurés, sans contrôle des citoyens, et au détriment des libertés individuelles ?

> La signature de l'Acta est-elle une préfiguration de la "gouvernance mondiale" et du "nouvel ordre mondial" que certains politiciens et chefs d'états appellent de leurs voeux ? Si c'est le cas, il y a tout lieu de se rebeller et de rejeter vigoureusement les prétentions de ces messieurs.


> Acta a été négocié entre les Etats-Unis, le Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, Singapour, la Corée du Sud, le Maroc, le Mexique, la Suisse, rejoints il y a quelques jours par la Commission de l’Union européenne (mais le Parlement européen n'a pas encore donné son aval). Mais  la Pologne, la Lettonie, la République Tchèque et la Slovaquie font machine arrière, l'Allemagne et la Roumanie pourraient les rejoindre.

> Pour signer la pétition de Avaaz.org  contre l'Acta : http://www.avaaz.org/fr/eu_save_the_internet_fr/

Lire l'article très complet sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_commercial_anti-contrefa%C3%A7on

Lire aussi sur Owni.fr l'interview de Kader Arif :  http://owni.fr/2012/01/28/acta-va-trop-loin/

... Et sur gilblog : Acta, Hadopi, Loppsi,grandes manoeuvres de la mondialisation : http://www.gilblog.fr/vu_sur_le_web/acta-hadopi-loppsi-grandes-manoeuvres.html