Parlant de la crise financière le 4 septembre dernier, le journaliste Stéphane Paoli s'interrogeait avec inquiétude : "est-ce que ce sont les banquiers de l'ombre qui aujourd'hui pèsent le plus lourd dans ce qui nous arrive, c'est à dire nous placer tous, tous, pas les français, la planète entière, au bord d'une récession mondiale..."? Que la puissance financière agisse dans l'ombre, ce n'est pas nouveau, diront certains... L'histoire apporte de l'eau à leur moulin avec cette fameuse déclaration d'Édouard Daladier (alors Président du Conseil), lors du Congrès Radical en 1934 à Nantes : "Deux cents familles sont maîtresses de l’économie française et, en fait, de la politique française. Ce sont des forces qu’un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France. L’influence des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent au pouvoir leurs délégués. Elles interviennent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse."
Depuis, les choses ont évolué, et en ce début de vingt et unième siècle les puissances financières occupent une place encore plus importante dans le monde. Elles font la monnaie, elles prêtent aux États, possèdent les entreprises et les médias, placent leurs hommes aux postes clés de la politique, font et défont les gouvernements et les Présidents. En Europe elles attaquent les Trésors Publics, les banques, elles se servent des agences de notation, défont les bourses, agissent sur le projet européen et la souveraineté des états.
Avec la mondialisation (que les étatsuniens nomment globalisation) on se demande qui dirige et contrôle vraiment les États et le monde. Vivons nous dans une espèce d'empire dont nous ne connaissons ni les visages des décideurs, ni les lieux du pouvoir ? Y a-t-il erreur sur l'identité des dirigeants réels ? Que sont les deux cents familles du vingt et unième siècle ?
> En effet, tout ça n'est pas de la fiction. Une étude, publiée en Suisse en juillet 2011, met en lumière pour la première fois les liens entre les multinationales à l'échelle planétaire. Retenez les noms de ces économistes et statisticiens de l’Institut fédéral de technologie de Zurich : Stefania Vitali (économiste), James Glattfelder (spécialiste en réseaux complexes), et Stefano Battiston (du Laboratoire de physique statistique de l’École normale supérieure). Leur étude qui utilise les outils de l'économie, de la finance, des mathématiques et de la statistique, révèle et démontre qu’un petit groupe d’acteurs économiques – sociétés financières ou groupes industriels – domine la grande majorité du capital de dizaines de milliers d’entreprises dans le monde.
Les trois chercheurs ont analysé les interactions financières entre les multinationales du monde "globalisé". Leur étude sur le réseau de domination des multinationales ("The network of global corporate control") porte sur un ensemble de quarante trois mille groupes (!) sélectionnés dans la liste de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Elle met en lumière les liens financiers complexes entre ces "entités économiques" (transnational corporations). Notamment : la part du capital détenu, les participations dans les filiales ou les holdings, les prises de participation croisées, les participations indirectes au capital des entreprises, des groupes, des institutions financières…
C'est la première analyse "de l‘architecture du réseau international de propriété, accompagné du calcul du degré de contrôle détenu par chacun des acteurs globaux. Nous trouvons que les multinationales ("transnational corporations" ou TNC) forment une structure de nœud-papillon géante et qu’une grande part du contrôle est drainée vers un cœur tissé serré d’institutions financières. Ce cœur peut être vu comme une "super-entité économique" dont l’existence soulève de nouvelles et importantes questions tant pour les chercheurs que pour les organes d’élaboration des politiques", écrivent les auteurs.
Leur conclusion est que 80 % de la valeur de l’ensemble des quarante trois mille multinationales étudiées sont contrôlés par sept cent trente sept "entités" : des banques, des compagnies d’assurances ou des grands groupes industriels. Mais la concentration du pouvoir (par le monopole de la possession du capital) va encore plus loin : grâce à un réseau de prises de participation, cent quarante sept multinationales, possèdent 40 % de la valeur économique et financière de toutes les multinationales.
Au sein de ce groupe de cent quarante sept multinationales qui se contrôlent elles-mêmes entre elles (on est en famille !), cinquante grands détenteurs de capital sont les "maîtres du monde". Les auteurs de l'étude appellent ça une "super entité". Le groupe est constitué principalement de banques : la banque britannique Barclays, ainsi que les géants de Wall Street (JP Morgan, Merrill Lynch, Goldman Sachs, Morgan Stanley…). On y trouve aussi des assureurs et des groupes bancaires français : Axa, Natixis, la Société générale, le groupe Banque Populaire-Caisse d’Épargne et BNP-Paribas. On s'en doutait un peu, mais maintenant ils sont identifiés, vous pouvez lire la liste en bas de page.
> Les propriétaires des capitaux dans ce groupe sont donc, au bout du compte, les "maîtres du monde". Au nom du libre échange, de la libre concurrence et de la globalisation, ils ont obtenu des gouvernements que rien ne leur soit interdit. G8, G20, OMC, Forum de Davos, ACTA, Conférence Trilatérale, groupe de Bilderberg... les banksters agissent de concert avec les hommes d'État et les politiciens pour organiser les affaires à leur convenance, et hors du contrôle des citoyens. C'est l'ère de l'économie casino, les banksters spéculent sur tout (y compris sur la faillite des États), ils ne publient plus les chiffre de l'inflation et fabriquent de la monnaie à tout va, ils dirigent l'économie et fabriquent la faim, le chômage, la pollution....
L'étape suivante sera-t-elle la "gouvernance mondiale" que certains politiciens imbéciles nous annoncent comme prochaine et indispensable ? Il est encore temps de crier aux fous, de traiter les banksters comme ils le méritent, et de mettre enfin un peu d'ordre dans tout ça !
> "The network of global corporate control" par Stefania Vitali, James B. Glattfelder, et Stefano Battiston. Chair of Systems Design, ETH Zurich, Kreuzplatz 5, 8032 Zurich, Switzerland.
> Un large extrait en français sur le blog de Paul Jorion : http://www.pauljorion.com/blog/?p=28360
> Lien pour télécharger le texte intégral de l'étude (en anglais) : http://arxiv.org/abs/1107.5728
> Les cinquante sociétés les plus importantes du monde.
1 BARCLAYS PLC
2 CAPITAL GROUP COMPANIES INC.
3 FMR CORP
4 AXA
5 STATE STREET CORPORATION
6 JPMORGAN CHASE & CO.
7 LEGAL & GENERAL GROUP PLC
8 VANGUARD GROUP, INC.
9 UBS AG
10 MERRILL LYNCH & CO., INC.
11 WELLINGTON MANAGEMENT CO. L.L.P.
12 DEUTSCHE BANK AG.
13 FRANKLIN RESOURCES, INC.
14 CREDIT SUISSE GROUP.
15 WALTON ENTERPRISES LLC.
16 BANK OF NEW YORK MELLON CORP.
17 NATIXIS
18 GOLDMAN SACHS GROUP, INC.
19 T. ROWE PRICE GROUP, INC.
20 LEGG MASON, INC.
21 MORGAN STANLEY
22 MITSUBISHI UFJ FINANCIAL GROUP, INC.
23 NORTHERN TRUST CORPORATION
24 SOCIÉTÉ GÉNÉRALE.
25 BANK OF AMERICA CORPORATION
26 LLOYDS TSB GROUP PLC
27 INVESCO PLC
28 ALLIANZ SE.
29 TIAA.
30 OLD MUTUAL PUBLIC LIMITED COMPANY
31 AVIVA PLC
32 SCHRODERS PLC
33 DODGE & COX
34 LEHMAN BROTHERS HOLDINGS, INC.
35 SUN LIFE FINANCIAL, INC.
36 STANDARD LIFE PLC
37 CNCE
38 NOMURA HOLDINGS, INC.
39 THE DEPOSITORY TRUST COMPANY
40 MASSACHUSETTS MUTUAL LIFE INSURANCE.
41 ING GROEP N.V.
42 BRANDES INVESTMENT PARTNERS, L.P.
43 UNICREDITO ITALIANO SPA
44 DEPOSIT INSURANCE CORPORATION OF JAPAN
45 VERENIGING AEGON
46 BNP PARIBAS
47 AFFILIATED MANAGERS GROUP, INC.
48 RESONA HOLDINGS, INC.
49 CAPITAL GROUP INTERNATIONAL, INC.
50 CHINA PETROCHEMICAL GROUP CO.